Déni climatique: Étude de cas du think tank allemand EIKE

Le think tank EIKE joue un rôle essentiel dans le mouvement de déni du changement climatique en Allemagne. En mai 2019, l’EIKE a plaidé en faveur d’un symposium sur le déni du changement climatique au parlement allemand. Cet événement a été coordonné par l’AfD, le parti d’extrême droite allemand.

Le changement climatique est l’un des sujets scientifiques les plus politisés et controversés. Un certain nombre d’universitaires espagnols ont réalisé une étude sur le cas du think tank négationniste en raison du grand nombre d’outputs qu’il produit. L’étude se concentre sur : -Les arguments utilisés par EIKE pour justifier son déni du changement climatique -Son lien étroit avec le parti d’extrême droite allemand AfD -et enfin sa présence dans les médias.

EIKE fait partie de ce que l’on appelle le contre-mouvement climatique (CCM), qui s’est employé à influencer et à induire en erreur les médias, l’opinion publique et les décideurs politiques sur les causes, les conséquences et les mesures à adopter en matière de réchauffement climatique. Avec ses publications, il a joué un rôle central dans le mouvement d’opposition.

Alors que les journalistes s’efforcent de communiquer sur la crise climatique, le CCM a diffusé des idées de déni climatique visant à saper les politiques climatiques et à mettre en doute l’existence même d’une crise climatique. En effet, ils ont utilisé le même discours et les mêmes stratégies de relations publiques que les industries des combustibles fossiles, qui eux-mêmes sont similaires à ceux utilisés précédemment par le secteur du tabac.

Les stratégies de lutte contre l’action climatique vont de la critique des activistes ou des politiciens à des arguments plus radicaux, comme la négation même de l’existence du changement climatique. Parmi ces groupes de réflexion, l’EIKE se distingue par le nombre le plus élevé de publications, ce qui, avec son intérêt pour les questions climatiques, en fait une étude de cas digne d’intérêt.

EIKE, UN BASTION EUROPÉEN DU DÉNI DU CHANGEMENT CLIMATIQUE EN ALLEMAGNE

L’EIKE représente “un nombre croissant de spécialistes des sciences naturelles, d’humanitaires, d’économistes, d’ingénieurs, de journalistes et d’hommes politiques qui considèrent que l’affirmation selon laquelle le changement climatique est uniquement “d’origine humaine” n’est pas scientifiquement rigoureuse et néglige les influences solaires et autres influences naturelles connues” (EIKE, 2020, paragraphe 1).

D’autre part, le Heartland Institute est un organisme bien connu pour ses tentatives de diffusion d’idées négationnistes sur le climat. En 2003, il a créé le Nongovernmental International Panel on Climate Change (NIPCC), une plateforme permettant aux scientifiques contrariants de l’action climatique d’attaquer les rapports compilés par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat des Nations unies.

Un récent rapport d’enquête a révélé comment le Heartland Institute a redistribué des fonds provenant de différentes entreprises et élites économiques aux États-Unis pour promouvoir le déni climatique et les idées de retardement. EIKE constitue l’une des branches dérivées du réseau de Heartland, recevant un soutien économique, idéologique et logistique de ce groupe de réflexion qui va à l’encontre de l’action climatique des États-Unis.

Bien que l’EIKE se considère comme une organisation apolitique, comme c’est le cas de nombreux groupes de réflexion, certains liens donnent une indication de l’orientation de l’organisation. EIKE fournit des arguments apparemment scientifiques aux personnes qui ne croient pas au changement climatique parmi les membres politiques et les partisans de l’AfD (parti Alternative pour l’Allemagne). Le groupe de réflexion allemand Adelphi a documenté les positions contraires au climat des partis européens d’extrême droite dans un rapport indiquant que le vice-président d’EIKE, Michael Limburg, et d’autres contributeurs ont joué un rôle clé dans l’élaboration des positions de l’AfD sur le changement climatique.

Le rapprochement entre l’EIKE et l’AfD a eu lieu dans un contexte où les partis populistes d’extrême droite se développent et affichent des positions de déni du climat. En outre, en mai 2019, EIKE a défendu un symposium sur le déni du changement climatique au parlement allemand, qui était coordonné par l’AfD. En outre, EIKE a revendiqué des arguments scientifiques spécifiques tels que la reconnaissance que le changement climatique se produit mais que les humains n’en sont pas la cause ou ne sont pas la cause unique et des arguments non scientifiques en rapport avec la croissance économique, l’autorégulation du marché, l’intervention minimale du gouvernement ou la critique d’une taxe sur la pollution.

QUE RETENIR DES PUBLICATIONS DE L’EIKE ?

Selon Ruser (2018), il n’y a pas de place pour les organisations anti action climatique en Allemagne. L’EIKE est un bastion de l’obstructionnisme de l’action climatique en Allemagne, mais l’analyse de la presse révèle que la popularité du think tank est négligeable, ce qui est cohérent avec les analyses de Ruser sur les organisations d’obstructionnistes de l’action climatique qui n’ont pas leur place dans le contexte allemand. L’importante production de l’EIKE résonne avec des arguments bien rodés de déni du changement climatique étudiés aux États-Unis (Cook et al., 2018).

Par ailleurs, sa relation avec le parti politique d’extrême droite AfD rend ce think tank suffisamment pertinent pour être inclus dans la discussion sur le contre-mouvement climatique et son influence, d’autant plus que la popularité de ce think tank dans la presse a été principalement liée à cette relation. Les contre-cadres les plus utilisés par l’EIKE comprennent des arguments non scientifiques tels que des critiques et des attaques condescendantes (présents dans 76,49% des 134 textes étudiés par l’EIKE).

Le deuxième cheval de bataille le plus utilisé par ce think tank est celui de la critique des politiciens et des médias défendant le consensus sur le réchauffement climatique et l’action qui y est relative (qui apparaît dans 60,50% des publications de l’EIKE). Ainsi, nous pouvons soutenir que le discours de l’EIKE est conforme à ce qu’Oreskes et Conway (2011) ont décrit comme une stratégie commune employée par le contre-mouvement climatique : discréditer les scientifiques et les militants du climat afin de saper leur message. Cela est perceptible à travers les études sur les think tanks tels que le Heartland Institute, qui s’est concentré beaucoup plus sur la mise en doute de l’incertitude scientifique (Boussalis & Coan, 2016) mais qui passe maintenant progressivement à l’attaque des scientifiques (Cann & Raymond, 2018).

Les autres arguments couramment utilisés par l’EIKE sont ceux selon lesquels l’homme n’est pas à l’origine du changement climatique ou n’en est pas la seule cause (43,49 %), et l’idée que toute politique sera pire que le réchauffement climatique (48,14 %). Cette position pourrait s’expliquer par l’existence d’identités et de croyances liées à une pensée industrielle qui ne reconnaît pas les défauts de la modernisation en matière d’environnement (par exemple, Anshelm & Hultman, 2014).

D’un autre côté, l’étude montre comment les alliances avec l’extrême droite n’apportent pas une grande visibilité au think tank mais le font entrer dans certains cercles de visibilité. Peut-être que des recherches dans les médias alternatifs proches de l’extrême droite ou dans les médias sociaux peuvent apporter plus de lumière sur la visibilité et l’influence que ce think tank obtient avec cette stratégie.

Pour résumer, EIKE représente un noyau dur du déni du changement climatique en Allemagne qui jouit d’une faible popularité dans la presse. Toutefois, ses liens politiques avec le parti d’extrême droite AfD contribuent à introduire ses idées dans les courants minoritaires de la sphère politique. Il faut s’en méfier. Aujourd’hui plus que jamais, nous avons besoin de journalistes prêts à mettre en garde leur public contre ces liens entre les organisations négationnistes de l’action climatique et à poursuivre une communication scientifique et éthique.

Pour lire l’étude complète

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