Mieux comprendre l'approche du trolling politique Russe

Mieux comprendre l’approche du trolling politique Russe

Les trolls et la propagande russes ont été responsables du coup de pouce à Donald Trump, des théories du complot autour du coronavirus, de la 5G et des accusations de nazisme des dirigeants ukrainiens, entre autres.

Le trolling politique en Russie a atteint des proportions massives, comme en témoignent à la fois le journalisme d’investigation (Reportage de CNN révélant l’existence de “fabriques de trolls” au Ghana) et l’analyse “big data” de l’activité de trolling sur Internet. L’année dernière, “Twitter.Inc” a publié un ensemble de données contenant plus de 9 millions de tweets provenant de 3 667 comptes dont on pensait qu’ils étaient “liés à l’Agence russe de recherche sur Internet”, une véritable usine à trolls.

Les trolls de Poutine sont présents sur Twitter, Ticktok, Facebook, Linkedin et d’autres domaines de l’internet, agissant comme des chiens d’attaque pour le gouvernement russe. Ils sont engagés et mandatés pour diffuser la propagande ou la désinformation du Kremlin dans le but d’influencer l’opinion publique et de saper les démocraties.

“Il y a une liste de médias qui, pardonnez l’expression, doivent être chiés”, a déclaré un ancien employé de l’usine à trolls russe dans une interview à Radio Free Europe. “L’argent n’était pas mauvais, mais le travail était exigeant : il fallait poster jusqu’à 120 commentaires par jour, pendant 11 heures, dans des forums de discussion, sur des sites d’actualités et dans des profils de médias sociaux appartenant à des organes de presse russophones spécifiques, tels que le journal indépendant Novaya Gazeta et le service russe de RFE/RL”, poursuit-il.

La Russie utilise l’approche des trolls à la fois sur son territoire et à l’étranger : En Russie, les activités des trolls servent à neutraliser les voix dissidentes sur Internet et à réduire ainsi le potentiel de mobilisation politique contre le régime. À l’étranger, Moscou déploie les trolls dans le cadre d’une stratégie perturbatrice et subversive, sapant l’ordre libéral à son avantage.

COMMENT FONCTIONNE LE TROLLING RUSSE?

Le trolling pro-Kremlin est une activité adaptée aux besoins du régime, en Russie et à l’étranger. Il consiste à embaucher des travailleurs précaires qui sont chargés d’effectuer des tâches spécifiques et dont la motivation n’est donc pas l’expression de soi mais la nécessité de gagner sa vie.

La plupart des trolls pro-Kremlin organisés travaillent pour l’Internet Research Agency LLC, communément appelée “usine à trolls”. L’agence a été fondée à l’été 2013 à Ol’gino, à Saint-Pétersbourg, à la suite de deux événements : l’émergence des médias sociaux comme plateforme de mobilisation politique pendant le printemps arabe, et la vague nationale de manifestations contre le régime qui a eu lieu en Russie entre 2011 et 2013.

Sur le front russe, la méthode classique de trolling consiste à se réapproprier les valeurs libérales de liberté d’expression et d’engagement civique pour créer un semblant d’action citoyenne. En d’autres termes, le trolling pro-Kremlin s’appuie sur l’esprit critique des citoyens pour les engager dans un débat. Cependant, ces derniers sont rapidement aliénés lorsqu’ils réalisent que leur engagement est futile dans un environnement Internet caractérisé par des fabrications absurdes, des faux-fuyants conçus pour confondre et induire en erreur, des attaques à motivation politique, voire des railleries et des insultes.

Les voix dissidentes semblent être un autre mirage qui décourage la mobilisation politique avant qu’elle ne se produise. En utilisant cette tactique de neutralisationpar le trolling pour contaminer l’internet, on le mine en tant qu’espace d’engagement politique et de débat informé. Dès lors, le régime n’a plus besoin de recourir à la coercition ou à la censure pure et simple.

La Russie applique également ces méthodes à l’étranger. Les trolls pro-Kremlin créent et entretiennent une pléthore de faux comptes sur les médias sociaux afin de susciter une désorientation et une aliénation politiques sur Internet en dehors de la Russie.

Cette stratégie internationale reflète les pratiques nationales d’exploitation de l’expression personnelle sur les médias sociaux. La Russie ne peut cependant pas déployer ses tactiques de “neutrollisation” à l’échelle mondiale, elle opte donc pour le rôle de trickster ludique. Un trickster peut être défini comme un acteur pleinement intégré aux institutions dominantes mais qui les subvertit en adoptant une attitude cynique et dérisoire à leur égard. Un trickster ne propose pas d’alternative durable à l’ordre existant. Il agit plutôt de l’intérieur, mais sape et corrompt le système.

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